Replacement défensif des attaquants.Dernier volet de la série consacrée au jeu de passe par jaunelière.com. La volonté de récupérer rapidement le ballon, impose aux joueurs d’être actif quand les adversaires ont le ballon. Les performances historiques du FC Barcelone par exemple seraient donc liées au fait de ne plus permettre à un joueur de se cantonner à un rôle. Parce qu’il leur est demandé d’attaquer à 11 et de défendre à 11.
VERS UN MODÈLE DE JOUEUR « UNIVERSEL » ?
Après l’épisode Ibrahimovic, joueur au talent gigantesque mais au profil d’attaquant pur rechignant aux replacements collectifs, Guardiola a fait un choix fort : l’équipe jouera pour Lionel Messi, avec un rôle taillé sur-mesure. Il ne sera pas un « avant-centre » au sens classique du terme. Laissant de côté les aptitudes offensives du joueur, Jean-Claude Suaudeau remarque tout de suite que «le plus petit (ndlr : Messi) met le bleu de chauffe et il est redoutable dans la récupération ! » [2].
Cela peut paraître classique, voire banal de dire que le joueur le plus haut sur le terrain en phase offensive doit se muer en premier défenseur. Mais finalement, c’est avant tout la première clé. Et c’est autrement plus frappant quand il s’agit du meilleur joueur du monde. Là où certains joueurs moyens se permettent de rechigner à l’effort collectif au nom de leur poste ou de leurs quelques buts marqués. Un autre exemple frappant, à Manchester United : la superstar Wayne Rooney est un véritable exemple d’abnégation défensive, et n’en préserve pas moins des statistiques offensives impressionnantes.
L’interprétation du jeu par le joueur doit être complète lors des deux phases.
Mais les équipes qui adoptent cette mentalité se présentent souvent dans un schéma tactique fixe, ou avec peu de variantes. On peut vraiment parler de schéma tactique en phase de non-possession. Rinus Michels était semble-t-il moins attaché à un schéma tactique stable. Il est allé jusqu’à décider que les joueurs devaient devenir le plus « universel » possible. Il fallait qu’ils soient capables de changer de position à n’importe quel moment. Cela devait aussi, en phase de possession, permettre aux joueurs d’ajuster leurs placements et leurs raids de façon à exploiter le moindre espace laissé libre par l’équipe adverse. Cruijff, par exemple, aimait particulièrement s’écarter de sa position centrale pour mettre les défenseurs en difficulté sur les ailes.
Après des années dominées par un football ou les rôles étaient précis, où les performances individuelles de l’avant-centre, du défenseur central et du gardien étaient les clés du succès, le renouveau de cet état d’esprit de polyvalence a de profondes répercussions sur la constitution d’un effectif. Même dans un schéma tactique qui varie peu, les joueurs deviennent « interchangeables ». Cela est d’ailleurs très apprécié par les présidents dans les périodes où les finances doivent être sous contrôle.
« Quand vous avez des joueurs polyvalents, vous n’avez pas besoin d’un gros effectif. Je préfère la qualité à la quantité. Je pense aussi qu’avec un effectif plus restreint, les joueurs sentent mieux la confiance de leur entraîneur. J’ai une confiance absolue dans mon équipe. Ma philosophie est que la solution existe avant le problème. […] Autrement dit, vous pouvez toujours trouver des solutions avant même que les problèmes ne surgissent. C’est ce que nous faisons au jour le jour. Aussi bien avec les joueurs de l’équipe première qu’avec les jeunes. » (Josep Guardiola) [3]
LE CŒUR DU JEU : LE MILIEU DE TERRAIN.
Dans leur idée de fond sur les joueurs et les aptitudes requises, le parallèle entre Suaudeau et Guardiola est frappant. L’entraîneur du FC Nantes disait que « Le match se gagne au milieu. Car pour trouver le bon jeu, seuls les joueurs du milieu en sont capables. Ils animent, ils inspirent. Plus tu possèdes ce type de joueurs, plus tu peux espérer gagner, au moins dans la durée. […] Tu mets en relief les courses du milieu, hyper rapides. Et là, ce sont les rois du fractionné, les princes de la technique qui sont les meilleurs. Tu m’en trouves six, sept, au milieu comme ça, et tu fais un malheur! […] La maladie c’est la statique ».
De son côté, Josep Guardiola assure que
« Le milieu de terrain est le centre névralgique de l’équipe. Les milieux sont des joueurs intelligents, qui prennent la plupart des décisions dans un match. Pour pouvoir décider, il faut d’abord comprendre. C’est ce qu’on leur demande également. En plus, ce sont eux qui se sacrifient le plus sur un terrain, de par leur position au cœur de l’action. Toutes ces qualités en font logiquement des joueurs polyvalents, capables de s’adapter à toutes les positions. » [3]
Un joueur qui symbolise bien cette idée est Cesc Fabregas, au sein du Barça 2011-12. Là où dans l’équipe d’Arsenal, il s’est exprimé comme un véritable milieu de terrain doté de grandes qualités offensives, il se retrouve en Catalogne à jouer quasiment comme un attaquant. Cela permet à Guardiola de faire évoluer son équipe de nouveau. Pour empêcher cette fois-ci les « contre-mesures » des équipes adverses. Toujours dans une logique d’éliminer les références et de rendre difficile le marquage pour les défenseurs adverses.
En outre, ce poste ambivalent de « milieu-attaquant » entre parfaitement dans la logique d’aménagement de l’espace abordée dans la 2e partie de ce dossier (« La gestion du ballon »).
On a pu voir récemment des arrières latéraux (en particulier à droite) se comporter comme de véritables milieux de terrains (Dani Alvès). Des milieux de terrains de formation (en général avec des aptitudes défensives) comme Lassana Diarra ont été amené à jouer au poste de défenseur central ou latéral. De façon plus anecdotique, Samuel Eto’o s’était retrouvé latéral droit le temps d’un match face au Barça, avec l’Inter de José Mourinho. Wayne Rooney a eu l’occasion de s’exercer avec brio, en remplacement de Paul Scholes, dans un rôle de milieu relayeur face à l’Otelul Galati et Benfica, fin 2011. Il confiait même en interview : « Je peux jouer n’importe où, et je me fiche d’où je joue […]. Je me moque de ne pas marquer tant que l’équipe gagne » [7], démontrant dans le même temps toute son abnégation au service du collectif.
Rooney et son nouveau rôle de milieu de terrain par vbcfoot
De manière plus générale, un nombre impressionnant de jeunes intégrant les centres de formation avec un bagage offensif sont replacés et formés à des postes bien différents avant de passer professionnels. C’est peut-être là une conséquence naturelle des changements qui sont demandés aux joueurs dans le football moderne, et de ce besoin de polyvalence.
CONCLUSION
On peut repenser à la phrase « le jeu à la nantaise c’est fini », prononcée récemment par un dirigeant nantais sans autre connaissance du jeu et de ses tenants fondamentaux. Comme Miles Davis dans la musique, Coco Suaudeau avait seulement 15 ans d’avance : « Avant que j’arrête, je voulais faire autre chose : former mes entraîneurs, mes éducateurs et, en même temps, créer une équipe avec un milieu de terrain plus fourni, en nombre et au profil différent. » [6]
Deux autres aspects sont aussi récurrents dans les équipes citées. La présence d’un centre de formation performant, afin de former des joueurs adaptés à leur époque, avec les fondamentaux requis pour permettre une expression collective cohérente. Et l’importance de l’entraînement ! La répétition des gammes et l’enseignement du jeu, sont aussi des choses qui lient la pensée de tous ces entraîneurs qui ont parfois révolutionné le jeu. On peut considérer aussi que certains clubs sont de véritables « centres de formations pour entraîneurs ». Car on retrouve forcément des filiations entre un entraîneur et ses ex-joueurs quand ceux-ci se mettent à entraîner à leur tour.
RÉFÉRENCES
[2] La rencontre au sommet Suaudeau – Deschamps, partie 1, France Football (17 mai 2011)
[3] Interview de Josep Guardiola : « La solution existe avant le problème », FIFA.com (12 décembre 2011)
[6] La rencontre au sommet Suaudeau-Deschamps – partie 2, France Football (20 mai 2011)
[7] Wayne Rooney : « Je peux jouer n’importe où » – Chronofoot.com (22 novembre 2011)